Mokuonji
Lorsque Shākyamuni s’est assis sous l’arbre de la bodhi, il devint Bouddha, celui qui a acquis la bodhi, la véritable connaissance, celle qui ne se situe pas dans une dimension intellectuelle mais dans celle d’une pratique à la fois objective et subjective, d’une expérience à partir de chaque cellule de notre corps. C’est l’essence du Zen, le retour à la nature originelle du corps et de l’esprit, débarrassée de toute souillure, des graines de l’ignorance, du voile des illusions. La meilleure expression de la Voie est dans la pratique elle-même, le corps et l’esprit en unité.
Un jour un disciple demanda à maître Hyakujō:
« Que signifie le réalisable non- réalisé et l’irréalisable-réalisé? »
Hyakujō répondit:
-« Le réalisable non-réalisé signifie les paroles non soutenues par des actes. L’irréalisable- réalisé sont les actes qui réalisent ce que les paroles ne peuvent atteindre. »
« Le vrai Zen c’est zazen » enseignait maître Deshimaru.
Pendant zazen on est assis sans rien faire, ni avec son corps, ni avec son esprit. Les pensées vont et viennent librement. On s’abandonne complètement à la posture juste et à l’expiration profonde. Sans intention, sans vouloir obtenir quelque chose, sans but ni esprit de profit, mushotoku. La moindre notion de garder, que ce soit posséder pour soi ou demeurer, devient un obstacle dans la conscience. Par contre, l’abandon de toute chose permet l’harmonie avec tout ce qui nous entoure.
Apprendre à se connaître soi-même conduit à abandonner l’attachement à notre ego forcément limité et à réaliser l’unité avec tout l’univers. Cela ne consiste pas à rejeter ou à perdre son individualité, mais à la relativiser, à ne pas y être excessivement attaché et dépendant. Ainsi il est possible de devenir intime avec ses sensations, aussi bien celles agréables que celles désagréables, sans vouloir conserver les unes ou rejeter les autres.
L’esprit de l’homme ordinaire est souvent obscurci par le voile des illusions qui empêche de voir le véritable aspect des phénomènes qu’il rencontre. Son esprit est alors dissocié de la vraie lumière et se pose en dualité par rapport à l’ordre de l’univers : c’est l’état d’ignorance, le manque de connaissance quant à la vérité concernant le fonctionnement de l’existence humaine et de sa relation avec tout ce qui l’entoure. Ne pas connaître cette vérité est source de jugements erronés.
Dans le Samâdhi du miroir précieux maître Tōzan écrit :
« Quand vous vous regardez dans le miroir,
forme et reflet se font face.
Vous n’êtes pas le reflet
mais le reflet est vous. »
Les images dans le miroir sont une partie de nous-mêmes. Nous existons, donc il y a un reflet, mais ce reflet n’est pas notre nature profonde, originelle. Le reflet nous suit et n’existe que par interdépen-dance avec la forme. Il est nous, mais nous ne sommes pas seulement lui. Il est simplement le reflet de notre karma, et non pas notre vraie nature, le visage originel, la nature de Bouddha. Les images, nos caractéristiques ne sont pas ce que nous sommes en profondeur, mais puisque nous existons, les deux sont liées dans l’instant. Le point de rencontre entre ce qui est temporel et éternel existe ici et maintenant.
Les sutras rapportent que le bouddha Shâkyamuni menait une vie éveillée, demeurant dans le moment présent d’une manière détendue et ferme. La vie réelle se déroule dans l’instant présent, et juste ici, dans cet endroit même.
Poursuivre le passé aussi bien qu’anticiper le futur font perdre le présent. Seul celui-ci est réel, car le passé n’est plus et le futur n’est pas encore advenu. De plus, vivre le présent permet de réussir le futur, car tout comme le présent est influencé par le passé, le futur sera influencé par le présent. Un lien trop fort au passé provoque un sentiment de manque, une nostalgie qui retient prisonnier. Parallèlement, investir son esprit dans le futur fait perdre de vue le moment présent.
Le véritable vécu, l’existence au sens plein du terme, se situe seulement ici et maintenant, tout le reste n’est que projections ou souvenirs. Pourtant dans la vie ordinaire la plupart des gens pensent sans cesse au passé et au futur, et de ce fait ne vivent jamais l’instant présent. Ici peut revenir, mais maintenant ne revient jamais. Maintenant, c’est le moment présent dans le cosmos en perpétuel changement.
Ainsi que l’expose Dōgen dans son ouvrage Uji, l’être-temps, le temps et l’existence sont une seule et même chose. Le temps, dans sa globalité, existe ici et maintenant. Tous les éléments de l’univers sont reliés ensemble dans un même temps. Du point de vue de l’être humain, le temps est perçu comme quelque chose qui passe en référence au corps qui change, vieillit et meurt. Or pour s’éveiller à une dimension plus vaste il faut percevoir le temps illimité.
Le Bouddha Shākyamuni a défini la loi de causalité comme principe fondamental de l’ordre de l’univers. Selon cette loi tout n’existe que par relation d’interdépendance entre les phénomènes, autrement dit par relation de cause à effet. Chaque effet a une cause et chaque cause, un effet.
Mais ce n’est pas pour autant que tout soit prédéfini puisque les causes peuvent revêtir de multiples formes et même donner lieu à d’innombrables résultats. Plus encore, ce n’est que lorsque plusieurs causes ou conditions sont réunies qu’un effet se produit. Par conséquent il n’existe pas de prédétermination puisqu’une cause s’inscrit toujours dans un contexte, un assemblage de causes d’où naîtra un effet forcément dépendant de cette multiplicité de causes.
Cette loi est la trame de toutes les existences. Notre vie s’inscrit perpétuellement dans une relation d’indépendance et d’interdépendance avec tout ce qui nous entoure. Les autres ne sont pas moi, et nous ne sommes qu’une parcelle de l’énergie cosmique qui dirige tout l’univers. Nous avons chacun notre histoire, notre karma, notre personnalité qui font que nous sommes des êtres uniques, comme chaque vague à la surface de l’océan est différente de la suivante. Mais de ce fait rien de ce qui nous constitue ne nous appartient en propre: ce sont des éléments de l’univers qui s’assemblent un certain temps tout en se transformant sans cesse.
Cette loi d’interdépendance ou de causalité revêt une dimension cosmique car elle maintient toutes les relations et interactions du monde phénoménal dans un état d’équilibre. Chaque existence individuelle est certes réelle dans le domaine physique, mais au niveau cosmique l’être humain n’existe que par les liens tissés entre lui et le reste de l’univers, c’est-à-dire par l’interdépendance karmique.
Dans ce monde des causes et des effets tout devrait nous amener à agir avec prudence car toute action, parole ou pensée produit un effet qui se répercute dans le présent et dans le futur. Ce pouvoir fondamental ne se limite pas au monde humain, mais gouverne toutes les existences animées ou inanimées sur la Terre et dans l’univers. C’est l’énergie qui remplit tout et engendre le mouvement perpétuel du cosmos.
L’être humain peut ressentir inconsciemment ce pouvoir énergétique et ainsi intervenir dans l’enchaînement de cause à effet au coeur de son existence. Plus un être s’éveille à cette réalité et plus sa liberté et son autonomie seront grandes et ses actions imprévisibles.
Le langage ordinaire a vulgarisé le mot karma en lui donnant le sens de destin ou fatalité: ce sont des mots trompeurs dans la mesure où ils évacuent l’essentiel, c’est-à-dire la responsabilité de nos actes et de leurs résultats. Suivant la loi de causalité toute action, parole ou pensée porte ses fruits et revient tôt ou tard à son auteur. C’est pourquoi il convient de rester attentif et de ne pas sous-estimer la portée de ce que nous entreprenons.
Mais le karma, cette graine qui contient en elle-même les potentialités du futur, n’entre pas pour autant dans une logique de déterminisme. En effet chacun a la possibilité par son action dans l’instant présent d’agir sur son karma et de l’influencer.
La conscience personnelle de l’être humain est imprégnée par la somme de toutes ses expériences vécues depuis sa naissance, ainsi que du karma accumulé dans les vies passées. Toute expérience spirituelle, physique ou émotionnelle devient une force latente qui influence sa pensée et sa conduite dans un sens positif ou négatif.
L’enseignement du Bouddha insiste fortement sur les répercussions des actions du corps, de la parole ou de la pensée car ce sont ces actions qui créent le karma.
Chacun possède intrinsèquement l’esprit pur, transparent et brillant, la nature de Bouddha, mais cet esprit est influencé par les traces du karma et des illusions, désirs, émotions, sentiments ou passions, tout ce qui trouble et perturbe le corps et l’esprit si on en devient prisonnier. Tout ceci est le fruit de l’ego, lequel transparaît dans chacune des actions de notre vie.
Dans la vie ordinaire, les illusions produisent un karma qui engendre la souffrance, et cette souffrance produit à nouveau des illusions. Ce cycle sans fin est la toile de fond de toute vie phénoménale, mais à travers la Voie du Bouddha, il est possible d’observer son karma et de sortir de ce cycle. Toutefois, si on reste à un niveau purement intellectuel, cela ne pourra qu’engendrer de nouveau illusions et préjugés. La réalisation et l’actualisation de la Voie du Bouddha passent par la pratique de chacun de ses gestes.
Bien que présent dès les premiers instants de la vie d’un individu, le karma est une base qui n’est ni fixe ni immuable. La conscience ne cesse de se transformer au fur et à mesure des nouvelles expériences de la vie, et c’est ainsi que se développent les caractéristiques propres à chacun: tempérament, aspect physique, état de santé, intelligence, talents… Ainsi le karma n’implique pas un déterminisme complet mais simplement une responsabilité dans le cycle des existences. Une lucidité dans la compréhension de ses erreurs et des leçons qu’on en tire est la meilleure façon de transformer les effets de son karma passé et peut devenir source d’Éveil et de libération.
Par le retour à la nature originelle, l’esprit pur, dépouillé des traces du karma, il est possible de s’émanciper de l’ignorance fondamentale du monde manifesté. Et par l’extinction de l’ignorance s’achèvent toutes les souffrances et se réalise le parfait nirvâna.
Depuis l’atome jusqu’aux galaxies, tout est soumis à la loi de l’impermanence. Chacun fait quotidiennement l’expérience de la nature éphémère de toute chose et réalise que les sentiments, pensées, émotions, sensations ou formations mentales sont aussi mouvantes que l’eau de la rivière. Le corps et l’esprit changent et se transforment sans cesse, et même les éléments apparemment solides et stables comme les montagnes ou les pierres subissent une évolution. Ainsi toutes les existences sont en perpétuel changement et sont soumises à la même loi universelle: naissance, développement et croissance, dégénérescence, mort, extinction. Mais la mort ne survient pas seulement au terme de la vie: naissance et mort se succèdent d’instant en instant dans la constante transformation des phénomènes, sans commencement ni fin.
La pratique de la Voie du Bouddha rend intime avec l’impermanence en permettant de l’accepter totalement d’instant en instant. Ainsi l’esprit devient complètement libre.
Si on ne se laisse pas déranger par ce qui apparaît et disparaît, le changement continuel ne peut nous atteindre. Nous entrons alors en communion avec le véritable esprit, l’esprit originel, la nature de Bouddha qui ne va ni ne vient, qui ne naît ni ne meurt, qui existe éternellement ici et maintenant. C’est cela atteindre la véritable dimension de l’être humain, réaliser le vrai corps-esprit de l’homme qui n’est pas limité, qui remplit l’univers entier et est contenu dans un grain de poussière.
Tout n’existe que dans le changement et par lui. Mais le pouvoir cosmique fondamental est éternel-lement immuable: non-né ni créé, sans commencement ni fin, il n’augmente pas au moment de notre naissance, ne diminue pas lorsque nous mourrons.
Selon un mouvement immuable et inéluctable, l’être humain naît, vit puis entre dans son cercueil. La seule compréhension de cette loi cosmique devrait suffire à nous couper de tout attachement.
Selon le temps qui passe le jour se change en nuit, l’obscurité pénétrant peu à peu la clarté, et la nuit se change en jour, la clarté investissant peu à peu l’obscurité. Clarté et obscurité sont des formes temporaires s’interpénétrant et se contenant mutuellement, en unité. De même sont reliées la vie et la mort. Même si nous ne voulons pas mourir, dès que le sommet de la croissance est atteint appa-raissent des phénomènes de vieillissement. C’est pourquoi, malgré l’attachement naturel à la vie, il est important d’affronter la présence de la mort.
L’être humain vit de et par un souffle, une énergie vitale qui remplit l’espace. Ce souffle, appelé ki en japonais, chi en chinois, apporte au corps une fraction de l’énergie universelle. Cette absorption se fait par la respiration mais aussi à travers les cinq sens et chacune des cellules de notre corps. Le corps peut être représenté comme un univers en miniature, un microcosme au sein d’un macrocosme, au sein duquel ce souffle est ce qui met en mouvement, ce qui propulse.
Comme l’univers, le corps est composé des éléments primordiaux: la terre, l’eau, le feu et l’air, dont un fonctionnement harmonieux assure la vie. La mort est un processus de rétractation de ces éléments depuis les extrémités jusqu’au coeur où à la fin, ils se rencontrent puis disparaissent. Alors ils retournent aux éléments du cosmos et la conscience se dissout dans la conscience alāya pure et sans forme, reliée à la conscience éternelle.
La naissance, la vie et la mort sont des formes du même océan, l’infini océan cosmique de la vacuité. Telle est notre véritable nature. La naissance est l’actualisation dans la matière d’une conscience ignorante qui, après la mort, a séjourné durant un certain temps dans la conscience cosmique. Cette conscience issue d’un trépassé veut s’incarner et exerce son influence sur l’union des parents, car l’ancien karma doit se réaliser et doit trouver un support concret pour se manifester. L’incarnation a lieu dès l’instant de la fécondation. De ce fait, père, mère et conscience préexistante sont responsables de l’apparition du fœtus.
Il est important de savoir observer la mort pendant la vie, car seuls ceux qui résolvent ce problème peuvent trouver le vrai bonheur. La mort ne se résume pas à la question de l’au-delà. Elle est présente dans notre vie, dans chaque geste, parole ou pensée. C’est pourquoi nous devons sans cesse nous entraîner à la mort à nous-mêmes, à notre ego, qui est l’ouverture sur l’infini.
Chaque instant peut être un moment favorable pour entrer en contact avec l’Essentiel, permettre à l’Absolu de retentir. S’éveiller à ce niveau d’être, c’est réaliser sa vraie liberté. Notre dimension humaine peut alors entrer dans la vie de l’éternel.
L’impermanence et l’interdépendance constituent le fondement de l’ordre cosmique. Celui-ci est mû par une énergie dont chaque être humain est une parcelle, un faisceau d’éléments qui s’assemblent un certain temps tout en se transformant sans cesse, puis se désagrègent lorsque la mort arrive. De ce fait, tout ce qui constitue un individu appartient à l’univers entier. Plus largement, rien n’existe par soi-même, indépendamment des autres phénomènes, rien n’a de substance propre, de noumène.
Souvent l’homme se méprend sur la nature de l’existence, et son attachement à son moi lui donne l’image d’un ego autonome et permanent. Croyant cela, ses préoccupations se centrent sur des pro-blèmes insignifiants ou superficiels et il laisse s’écouler sa vie sans aborder les questions essentielles. Pourtant l’ego n’a lui non plus pas de substance propre. En prenant conscience de cela, il devient possible de se dépouiller de l’attachement. L’ego, l’individualité, comme toute chose de l’univers, est instable, impermanent, soumis à la terre sur laquelle nous vivons, à l’éducation et à la culture qui nous ont imprégnées, aux personnes qui nous entourent, aux actions de notre corps, de nos paroles et de nos pensées… Sans existence substantielle, l’ego n’est que karma et interdépendance. Mais s’il s’accepte comme changeant, incomplet, imparfait, il peut être attiré vers l’Absolu. Ainsi naît le désir de pratiquer la Voie et d’aller au-delà des illusions qui limitent l’être humain.
Un miroir réfléchit tout sans faire de distinction entre les objets, il reflète l’image sans la retenir ni la juger. Adopter cette vision rend possible la perception des êtres et des choses tels qu’ils sont, débar-rassés du filtre des illusions et des projections personnelles. Voir ce qui est tel qu’il est, c’est ce que l’on nomme l’ainséité.
De la vacuité, kū, naissent les phénomènes, shiki, qui retournent à kū. Comme il est dit dans le sutra de la Grande Sagesse, la vacuité engendre les phénomènes, les phénomènes engendrent la vacuité.
De la vacuité procèdent toutes les existences en perpétuel changement, leurs formes apparaissant au gré d’interférences cosmiques rigoureusement ordonnées, puis disparaissant en se désagrégeant, libérant ainsi l’Essence qui retrouve son origine.
L’attachement excessif aux phénomènes est un piège. De même la poursuite exclusive de la vacuité pour parvenir au monde spirituel, au monde invisible, ne permet pas d’accéder à l’ultime Vérité. La Voie du Milieu embrasse les deux aspects, le matériel et le spirituel. C’est ainsi que l’on parvient à transcender à la fois shiki et kū, les phénomènes et la vacuité, qui, loin d’être séparés, travaillent ensemble, l’un engendrant l’autre.
Sunyātā, le terme sanskrit pour kū, possède un double sens originel:
– Le premier : suvi, l’expansion, le mouvement centrifuge.
– Le second : sunyā, zéro. Le zéro, sans valeur intrinsèque symbolise toutes les potentialités, comme l’oeuf cosmique qui engendre et désintègre indéfiniment. Dans le monde de la vacuité rien ne croît ni ne décroît, tout est égal à zéro. La vacuité se retrouve à la base de l’enseignement du Bouddha, elle représente l’élément originel de l’Éveil.
Ainsi kū est à la fois alpha et omega, contenant et contenu dans tous les phénomènes.
Les phénomènes sont les ombres de la vacuité, les ombres de l’esprit originel.
Le monde phénoménal dans son essence part de kū et aboutit à kū. Comprendre cette loi cosmique non intellectuellement mais en l’actualisant dans son corps et son esprit c’est réaliser l’Eveil.
Un jour l’empereur Wū demanda à Bodhidharma: « Quelle est la sainte vérité? » Bodhidharma ré-pondit: « Un vide insondable et rien de sacré ». C’est ainsi qu’il évoque la totale vacuité, au-delà de la vie et de la mort, au-delà des illusions et de l’Éveil, le ciel pur, sans nuage, immense, infini.
« Débarrassez-vous des poussières de la pensée subjective et vous pénétrerez dans le royaume de la Vraie Réalité » dit maître Wanshi.
Lorsque les poussières du subjectif sont soufflées, l’esprit s’ouvre, brillant, sans trace. Si l’esprit s’ouvre il n’y a plus ni intérieur ni extérieur. L’esprit est alors transpercé par la lumière infinie, brillant à travers l’univers, tranchant le passé, le présent et le futur. Tel est le Royaume de la Vraie Réalité.
Lorsque Nyōjō s’écria dans son dōjō :« Zazen c’est corps et esprit dépouillés, ne dormez pas! », son disciple Dōgen s’éveilla complètement au sens de la pratique, abandonnant dans l’instant même tous ses doutes. Cet abandon du corps et de l’esprit produit leur métamorphose. Il n’existe plus alors de dualisme entre eux, ils sont enfin réunifiés.
Mais l’Éveil ne peut être recherché, car une quête spirituelle peut devenir illusion si se développe une avidité de mérites qu’on accumulerait pour atteindre un hypothétique nirvâna pour soi-même. L’Eveil ne consiste pas en l’acquisition de quelque chose mais à se dépouiller pour retourner à la nature originelle du corps et de l’esprit.
Littéralement nirvâna est un mot sanskrit qui signifie arrêt, cessation. Il n’y a plus de vent pour attiser la braise, plus de vent pour attiser nos illusions. C’est une dimension de paix, de sérénité, de parfaite tranquillité. Ainsi, il est possible d’arrêter le mouvement du corps et de l’esprit, de stopper le processus de fuite en avant ou en arrière qui fait que l’on se retrouve à l’heure de sa mort en ayant gâché sa vie dans l’illusion de la vivre.
Le Bouddha dit: « Les illusions étant des maladies, si on les enlève, on retrouve la vraie santé. » L’état d’Éveil est la véritable santé de l’homme. L’homme du nirvâna est un être ouvert, libre, délivré vivant. Lorsqu’il éprouve une sensation plaisante ou déplaisante, il sait qu’elle est impermanente et il ne s’y attache pas.
Maître Dōgen ajoute: « Il y a Éveil lorsque nous cessons de nous porter vers les phénomènes avec notre conscience personnelle, mais lorsque ce sont toutes les existences qui nous répondent en sympathie mutuelle. »
Être éclairé en toute direction, à l’intérieur comme à l’extérieur, ne plus regarder avec une vision dualiste, ouvrir véritablement ses yeux pour voir dans son ensemble la Vérité telle qu’elle est.
S’éveiller à la conscience cosmique, c’est devenir le miroir dans lequel le cosmos entier peut se réfléchir, comme le diamant qui absorbe et réfléchit toutes les couleurs bien qu’il soit incolore.
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